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Le Dragon

D'Evgueni Schwartz

 

Avec:

 

Julien Barthélémy

Jean-Damien Detouillon

Nawel Dombrowsky

Vincent Leprette

Adrien Neves

Henri Rizk

 

Mise en scène: Laurent Vigreux

 

Musique: Laurent Vigreux et Jules Poucet

 

Lumières: Franz Banlier

 

Costumes: Zelda Attali et Charlotte Frange

«Quand on est tranquille bien au chaud, il est plus sage de somnoler et de ne pas trop en dire, mon cher »

 

Le Chat

Dans un village tyrannisé depuis des siècles par un dragon, les habitants vivent paisiblement sous le joug de leur despote. Cette paix est rythmée, tous les ans, par le tribut d'une jeune fille au Dragon qui les protègent, en retour, des maladies, des bohémiens ou de la pauvreté. Elsa, fille de Charlemagne, organise les derniers préparatifs de son départ à la veille de la cérémonie mais loin d'être éperdue, elle accepte ce sacrifice pour le bien de la cité. Tout aurait pu perdurer : un cycle sans fin de soumission et de sacrifices sans rébellion ni même sursaut des bourgeois administrés par le Bourgmestre et son fils, Heinrich.

C'est alors qu'arrive, perclu de fatigue, un héros professionnel prénommé Lancelot, lointain descendant du chevalier du même nom. L'amour s'abattant d'un coup sur Elsa et Lancelot et quelques points administratifs non négligeables contraignent le dragon a accepté un duel dans les formes avec Lancelot au détriment d'une solution plus expéditive et griffue.

 

Le conseil autonome de la ville, dont le Bourgmestre est un membre plus délirant qu'éminent, avertis du combat octroient à Lancelot des armes dignes d'un carnaval de pacotille, en espérant que leur dictateur cracheur de feu s'adjuge une victoire rapide et sans chichis. 

« La vérité, tu sais l'odeur qu'elle a cette saloperie? »

 

Le Bourgmestre

Pendant que chaque combattant lime consciencieusement ses armes, Heinrich, ancien fiancé d'Elsa, est  missionné par le Dragon fourni un poignard empoisonné  pour qu'elle en use contre Lancelot, car, comme le dit la maxime gouverner: c'est prévoir. Cependant, le Chat, un âne et quelques rouliers ne laissent pas le héros professionnel dans le dénuement le plus total et lui confient des armes magiques.

Il n'était pas une fois...

Sans conteste, Evegueni Schwartz est un génie.  Tout dans Le Dragon nous porte à croire qu'il s'agit bel et bien d'un conte: on y croise ainsi pêle-mêle des animaux qui parlent, des armes magiques, une jeune fille éplorée et son prince charmant, des êtres noirs et sournois qui régissent un monde onirique, une fin heureuse... Voilà donc ce conte, drôlissime, incisif qui comme toute la littérature de genre nous éduque, nous protège et, pour notre plus grande satisfaction, nous tient hors du monde réel! Sommes-nous assez crédules pour admettre, que l'auteur, fin connaisseur des contes d'Andersen et autres chefs-d'oeuvre du genre, s'est fendu dans une période trouble (la pièce fut achevée en 1943) d'une bluette à destination de nos jeunes pousses? Au-delà de l'évidente lecture politique de ce texte, il est de notoriété publique que Le Dragon fut censuré par le régime Stalinien, Schwartz nous rappelle avec son élégante noirceur que tout est illusion, la paix et le bonheur avec.

 

Lancelot n'est qu'un lointain cousin éloigné du valeureux et célèbre chevalier du même nom; Elsa représente-t-elle l'archétype de la jeune fille alors qu'elle choisit sciemment de mourir pour le bien de sa cité dans un acte de bravoure socratique? Il n'est pas anodin qu'elle-même, et contrairement à ce qu'on retrouve dans la plupart des contes, n'est pas affublée d'un nom à connotation sociale ou physique (La petite marchande d'allumettes, Blanche-neige...). Son père Charlemagne, bien que figure paternelle aimante, n'en demeure pas moins un homme disposé à éradiquer tous les bohémiens de la surface de la terre. Heinrich et le Bourgmestre réunissent à deux l'arrivisme et l'opportunisme nécessaires à la conquête du pouvoir en usant du mensonge et de la dissimulation pour arriver à leurs fins. Même le Dragon, personnage maléfique, nous semble parfois sympathique et attachant, de par son absolue absence de cynisme. En outre, lorsque Lancelot proclame son désir d'imposer à tous son idée du bonheur, ne nous rappelle-t-il pas un petit père des peuples aux prétentions similaires mais bien plus connu pour les millions de mort qui jonchèrent son destin? Définitivement, inexorablement, malheureusement: tout est illusion. Evgueni Schwartz pointe avec acidité la meilleure des façons de contrôler et de maitriser ses contemporains: l'instauration du silence et la maitrise des images. Tous les personnages s'observent, se cachent, se dissimulent derrière des rideaux, exposent le visage qu'ils souhaitent  montrer pour atteindre leur but: la vérité n'existe pas et personne n'ose franchir le voile du mensonge. Seule la tranquillité et la sécurité comptent. « Soyez résolus de ne plus servir et vus serez libres» écrivait La Boétie, il y a trois cents ans mais lorsqu'il est si confortable de se persuader que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, qui l'entend encore ?

Evguéni Schwartz

(1896 - 1958)

Après des études de droit à Moscou, Evguéni Schwartz se fixe à Petrograd (Saint-Petersbourg) où il s'intègre à des groupes littéraires et commence à collaborer avec des revues pour enfants. Il y revisite, dans des adaptations modernes, d'anciens contes de fées empruntés à la tradition orale, à Perrault, à Grimm ou à Andersen.

Le théâtre ne viendra que plus tard, dans les années 30, avec trois pièces majeures, trois farces politiques à forte densité satirique et chaque fois traitées comme des allégories contemporaines : Le Roi nu (1934), L'Ombre (1940), et surtout Le Dragon (1944) écrite l'année qui suit la bataille de Stalingrad. 

Le propos du Dragon, résolument antitotalitaire, soutenu par une ambiguïté savamment entretenue qui renvoie parfois dos à dos nazisme et stalinisme, exposa cette œuvre à la censure jusqu'au début des années 60.

 

Ecrite en 1934, alors que l'hitlérisme se déchaîne en Allemagne, la fable du Roi nu, sous-titrée « La Princesse et le porcher », emprunte en effet à Andersen une trame rapide et fantaisiste, parsemée de sourires qui parfois se font ambigus. Schwartz y raconte comment Henriette et Henri, la princesse ingénue et le porcher débrouillard, voient leurs amours bucoliques compromises par la volonté du roi, qui tient à donner sa fille au souverain du royaume voisin, un despote grotesque qui tyrannise ses sujets. Les deux amants devront s'en remettre à la ruse pour faire échouer ces horribles noces...Sous la figure de la brute qui se revêt complaisamment, pour son mariage, d'un vêtement de cérémonie censé être invisible aux yeux des idiots et des traîtres (vêtement qu'il est donc le premier à faire mine de voir), Schwartz voulait d'abord, dit-on, prendre Hitler pour cible. Mais la soupçonneuse bureaucratie stalinienne avait le regard trop aigu pour ne pas percer à jour une telle trame et se sentir visée à son tour : ce conte pour enfants n'autorisait que trop une lecture d'adultes et cette fantaisie bariolée avait tout l'air d'avoir pour envers un réel d'une étoffe trop noire...

 

Evguéni Schwartz, mort en 1958, dut attendre vingt-trois ans la création de sa pièce. Et en France, il fallut patienter près d'un demi-siècle de plus avant qu'André Markowicz, grand traducteur et spécialiste de théâtre, en propose une version nouvelle, restituant à merveille la truculence poétique, la bigarrure verbale et les jeux de mots de l'original.

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